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ANTENNES DE TÉLÉPHONIE MOBILE

Par Sandrine FIAT4 juillet 2012Pas de commentaires

Le Tribunal des Conflits s’est prononcé sur la répartition des compétences entre le Juge Administratif et le Juge Judiciaire et semble vouloir mettre un frein aux velléités du Juge Judiciaire d’ordonner le démontage d’antennes relais de téléphonie mobile.

LE TRIBUNAL DES CONFLITS DONNE UN COUP D’ARRÊT À LA COMPÉTENCE DU JUGE JUDICIAIRE

Par plusieurs décisions rendues le 14 mai 2012, le Tribunal des Conflits se prononce sur la répartition des compétences entre le Juge Administratif et le Juge Judiciaire et semble vouloir mettre un frein aux velléités du Juge Judiciaire d’ordonner le démontage des antennes relais de téléphonie mobile.

Ces décisions s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel répartissant les compétences entre les différents pouvoirs de police (1).

L’assemblée du Conseil d’Etat a, en effet, jugé que seules les autorités de l’Etat désignées par la Loi (ministres, ARCEP (2), ANFR (3) ) sont compétentes pour réglementer de façon générale l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile.

Un maire ne peut donc réglementer par arrêté l’implantation des antennes relais sur le territoire de sa commune sur le fondement de son pouvoir de police générale.
Le Conseil d’Etat a, en effet, jugé que le maire ne pouvait adopter sur le territoire de sa commune une réglementation relative à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes sans porter atteinte aux polices spéciales conférées aux autorités de l’Etat.

Par contre, le Conseil d’Etat avait pris soin de laisser une « porte ouverte » en précisant que les décisions qu’il avait rendues ne  » concernent que la question de l’autorité compétente pour édicter une réglementation générale des implantations d’antennes relais, sans préjuger ni de l’illégalité des réglementations applicables, ni de l’éventualité de décisions individuelles de police municipale que les maires pourraient prendre, notamment en cas d’urgence, concernant les antennes relais déterminées, au regard de circonstances locales exceptionnelles« .
Ainsi, le maire peut toujours prendre une décision individuelle à propos d’une antenne particulière en cas de dysfonctionnement grave ou de circonstances exceptionnelles justifiant une intervention.

Par ailleurs, il relève toujours de ses pouvoirs de prendre, en application du Code de l’Urbanisme, toute décision concernant l’implantation des antennes relais qui sont soumises à autorisation et notamment déclaration préalable.
Ainsi, il ne saurait y avoir de compétences de police immédiatement concurrentes, l’invocation du principe de précaution ne pouvant être attributif de compétence.
Le maire ne peut ainsi, sous prétexte de l’application du principe de précaution (4) se déclarer compétent pour vérifier le respect dudit principe.
Dans le droit fil de ces trois décisions d’assemblée du 26 octobre 2011, le Conseil d’Etat a, par un arrêt en date du 30 janvier 2012 Orange France (5), rappelé clairement que s’il appartient « à l’autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme « , les dispositions de l’article 5 de la Chartre de l’environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d’évaluation des risques et des mesures provisoires susceptibles, le cas échéant, d’être mises en œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d’une autorisation d’urbanisme en l’absence d’éléments circonstanciés faisant apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus.
Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que le Maire ne pouvait pas s’opposer à une déclaration préalable d’antenne relais en l’absence d’éléments circonstanciés faisant apparaître des risques, même incertains.

La Haute Juridiction a ainsi censuré l’opposition à déclaration préalable fondée seulement sur des risques incertains « notamment au regard des normes de distance minimale adoptées dans plusieurs pays voisins » alors qu’aucun élément circonstancié n’est de nature à établir l’existence, en l’état des conséquences scientifiques, d’un risque pour le public.

Certains commentateurs se sont interrogés sur ce considérant « mystérieux » (6). Faut-il déduire de l’arrêt du Conseil d’Etat que le maire, autorité de police spéciale de l’urbanisme, peut désormais, indépendamment des mesures de police spéciale et prises par l’Etat, opposer le principe de précaution aux demandes d’autorisation d’urbanisme « en présence d’éléments circonstanciés » de nature à justifier un tel refus ?
Les circonstances locales, climatiques, ou autres pourraient-elles être invoquées?

antennes© delkoo – Fotolia.com

C’est dans ce compte jurisprudentiel particulièrement riche que le Tribunal des Conflits, dans le cadre des six arrêts du 14 mai 2012, tente de clarifier la répartition des compétences entre Juge Administratif et Juge Judiciaire.

Depuis plusieurs années, le Juge Judiciaire reconnaît l’existence de risques sanitaires liés aux antennes relais, n’hésitant pas à condamner les opérateurs au démantèlement de leurs antennes relais implantées à proximité des habitations des demandeurs, ou à suspendre l’installation d’antennes à proximité d’une école pour trouble anormal de voisinage (7).

Le Tribunal des Conflits, après avoir rappelé que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat, réaffirme que la mission dévolue aux seules autorités publiques désignées, porte sur le soin de déterminer et de contrôler les conditions d’utilisation des fréquences ou bandes de fréquences et les modalités d’implantation des stations radioélectriques sur l’ensemble du territoire, ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu’elles émettent et contre les brouillages préjudiciables.

Cette compétence «exclusive» est édictée dans le but d’assurer, sur l’ensemble du territoire national et conformément au Droit de l’Union Européenne, d’une part un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communication électronique, d’autre part un fonctionnement optimal de ces réseaux notamment par une couverture complète de ce territoire.

Le Tribunal des Conflits déduit de ce rappel du pouvoir de police spéciale des communications électroniques, « que l’action portée devant l’ordre judiciaire, quel qu’en soit le fondement , aux fins d’obtenir l’interruption de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique régulièrement autorisée et implantée sur une propriété privée ou sur le domaine public, au motif que son fonctionnement serait susceptible de compromettre la santé des personnes vivant dans le voisinage ou de provoquer des brouillages, implique, en raison de son objet même, une immixtion dans l’exercice de la police spéciale dévolue aux autorités publiques compétentes en la matière ; que nonobstant le fait que les titulaires d’utilisation soient les personnes morales de droit privé et ne soient pas chargées d’une mission de service public, le principe de la séparation des pouvoirs, s’oppose à ce que le Juge Judiciaire, auquel il serait ainsi demandé de contrôler les conditions d’utilisation des fréquences radioélectriques au regard des nécessités d’éviter les brouillages préjudiciables et de protéger la santé publique et, partant, de substituer, à cet égard, sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée sur les mêmes risques, ainsi que, le cas échéant, de priver d’effet les autorisations que celle-ci a délivrées, soit compétent pour connaître d’une telle action« .

Ainsi, le Juge Judiciaire perd sa compétence en matière d’action tendant à l’interruption de l’émission, l’interdiction de l’implantation, l’enlèvement ou le déplacement d’une station radioélectrique régulièrement autorisée.

Il ne retrouve compétence, sous réserves d’une éventuelle question préjudicielle, que «pour connaître des litiges opposant un opérateur de communications électroniques à des usagers ou à des tiers, d’une part aux fins d’indemnisation des dommages causés par l’implantation et le fonctionnement d’une station radioélectrique qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public, d’autre part aux fins de faire cesser les troubles du voisinage liés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux, autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables ».

Ainsi, le Juge Judiciaire ne sera compétent :

  • que pour l’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’une « station radioélectrique qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public » : à cet égard, la question se pose en doctrine de savoir si par cette mention de « station radioélectronique qui n’a pas le caractère d’un ouvrage public » le Tribunal des Conflits a entendu exclure de la domanialité publique de manière générale toute station radioélectronique ou s’il considère que le Juge Judiciaire n’est compétent que pour l’indemnisation des dommages causés par l’implantation ou le fonctionnement d’une station radioélectrique à l’exclusion de celle qui pourrait se voir qualifier d’ouvrage public (8)?
  • d’autre part, «  aux fins de faire cesser les troubles anormaux de voisinageliés à une implantation irrégulière ou un fonctionnement non conformeaux prescriptions administratives ou à la preuve de nuisances et inconvénients anormaux autres que ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables« . Ainsi, le Juge Judiciaire ne demeure compétent sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage qu’autant que la station radioélectrique sera implantée irrégulièrement ou fonctionnera de manière irrégulière par rapport aux dispositions législatives et règlementaires applicables ou s’il est apporté la preuve de nuisances et inconvénients anormaux du voisinage, à l’exclusion de ceux afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages préjudiciables qui sont désormais de la seule compétence du Juge Administratif.

Ainsi, le Juge Judiciaire pourra se prononcer sur l’existence de nuisances ou d’inconvénients anormaux du voisinage dans le cas d’un litige relatif à l’aspect de la station, son fonctionnement (bruit généré…) à l’exclusion de tout trouble invoqué qui serait lié à la dangerosité de l’installation.

Le Juge Judiciaire ne saurait se substituer à l’appréciation de l’administration au titre de son pouvoir de police spéciale.
Ainsi, il n’y a pas concurrence de compétence entre les deux autorités de police (conseil d’Etat 26 octobre 2011 précité), ni entre les deux ordres de juridiction.


Les 6 arrêts du Tribunal des Conflits du 14 mai 2012:

Index:
(1) Conseil d’Etat assemblée 26 octobre 2011 n°326492 ; n° 341767 n° 329904.
(2) Autorité de régulation des communications électroniques et des postes
(3) Agence Nationale des Fréquences
(4) Conseil d’Etat du 19 juillet 2010 n° 328687
(5) Conseil d’Etat du 30 janvier 2012 n° 344992
(6) Yves JEGOUZO AJDA 2012 page 233
(7) Cour d’Appel de Versailles 4 février 2009 RG n° 08/08775 – Cour d’Appel de Paris 7 janvier 2004 n° 2003/02301
(8) Etats Généraux du Droit Administratif 27 juin 2012 intervention du Professeur DENYS DE BECHILLON