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Urbanisme

Interêt à agir contre les permis : Mode d’emploi

Par Sandrine FIAT24 février 2016Pas de commentaires

Dans un arrêt publié au Recueil LEBON du 10 juin 2015 n°386121, le Conseil d’Etat livre la grille d’analyse de l’intérêt pour agir des requérants en matière d’urbanisme au regard de la définition légale donnée par l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme.

C’est la première décision qui se prononce sur l’application de la nouvelle définition de l’intérêt à agir contre les permis de construire, d’aménager ou de démolir donnée par l’ordonnance du 18 juillet 2013[1]. Dans un contexte de multiplication des contentieux notamment en matière d’urbanisme et de succession des réformes dont la Loi ALUR est la dernière principale manifestation, l’ordonnance du 18 juillet 2013 et le Décret du 1er octobre 2013[2] ont apporté des changement au cadre législatif inspiré par le souci d’une meilleure sécurisation des autorisations d’urbanisme. Le but clairement affiché : permettre leur mise en œuvre rapide et la réalisation de logements supplémentaires.

Certes, la jurisprudence administrative avait déjà défini l’intérêt à agir qui se définissait très largement par le critère du voisinage composé d’un faisceau d’indices faisant varier la recevabilité du recours en fonction de la distance avec le projet, de son importance et de la nature des constructions envisagées. L’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme était ainsi aisément reconnu facilitant les oppositions aux projets de construction.

L’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme est dès lors venu limiter et préciser l’intérêt à agir des personnes autre que l’Etat, les Collectivités territoriales et les Associations à l’encontre d’un permis.

Une personne n’est plus recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L261-15 du Code de la construction et de l’habitation.

L’arrêt du Conseil d’Etat du 10 juin 2015 apporte un éclairage sur cette nouvelle disposition et expose dans un considérant de principe les implications des dispositions du Code de l’urbanisme précitées pour le requérant, pour le défendeur mais aussi au regard du contrôle du Juge.

Dans cette affaire, les requérants contestaient la légalité d’un permis de construire une station de conversion électrique dont le terrain d’assiette était situé à environ 700 mètres de leur maison d’habitation excipant de la proximité géographique, de la co-visibilité et affirmant également que le projet était susceptible de leur occasionner des nuisances sonores.

Le Conseil d’Etat précise en premier lieu qu’il résulte des dispositions de l’article L600-1-2 du Code de l’urbanisme :

« qu’il appartient, en particulier à tout requérant qui saisit le Juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir, ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. »

Sur ce premier principe, le Conseil d’Etat a relevé que :

« les circonstances invoquées par les requérants, que leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants« ,

Ainsi la seule proximité géographique n’est pas suffisante en l’espèce pour caractériser l’intérêt à agir des requérants.

Cependant, ceux-ci avaient également fait valoir :

« quils seront nécessairement exposés, du fait du projet qu’ils contestent, à des nuisances sonores en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives »

Dès lors, et selon le Conseil d’Etat, au regard de ces allégations étayant leur intérêt à agir, il appartient ensuite aux défendeurs, c’est-à-dire la collectivité locale auteur de l’acte et le bénéficiaire de l’autorisation d’apporter « tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité« .

Or, le Conseil d’Etat relève qu’en défense le bénéficiaire du permis de construire se bornait à « affirmer qu’en l’espèce, le recours à un type de construction et à une technologie différente, permettra d’éviter la survenance de telles nuisances« .

Face à cette contestation de l’intérêt à agir, le Juge doit « former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. »

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève que dans ces conditions « la construction de la station  de conversion électrique autorisée par la décision du Préfet du Pas-de-Calais du 14 août 2014 doit en l’état de l’instruction être regardée comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des maisons d’habitation des requérants. »

Les Juges des Tribunaux Administratifs ont adopté la définition donnée par le Conseil d’Etat de l’intérêt à agir et appliquent le « mode d’emploi » aux procédures dont ils sont saisis. C’est ainsi que dans un Jugement du 4 février 2016, le Tribunal Administratif de GRENOBLE a dénié tout intérêt à agir au propriétaire d’une maison d’habitation située  à quelques dizaines de mètres à vol d’oiseaux du terrain d’assiette, le Tribunal, sur la base des éléments concrets fournis par les parties défenderesses, ayant considéré :

« …Que la vue que pourrait avoir Monsieur X sur le projet, qui n’est en tout état de cause pas une vue directe, est occultée comme le montre notamment une prise de vue depuis sa terrasse et produite par l’intéressé par une végétation abondante et deux autres constructions alors que le projet, accolé à la route départementale est enterrée côté amont du terrain, ce qui ne le rendrait visible par Monsieur X que dans sa seule partie haute; Qu’ainsi Monsieur X n’établit pas qu’il aurait un intérêt à agir contre le permis de construire qu’il conteste. »

 

Il convient en conséquence d’étayer l’intérêt à agir de son client ou de contester l’intérêt à agir de son adversaire en apportant des éléments concrets : documents photographiques, vues aériennes, constat d’huissier, ….

Poursuivant le même raisonnement, les Juges ont pu considérer que les propriétaires d’une parcelle pourtant contigüe à celle du terrain d’assiette du projet ne pouvait se voir reconnaître un intérêt à agir dans la mesure où il n’était fait état à l’appui de leur requête d’aucun élément précis concernant la perte d’ensoleillement ou l’occultation de la vue sur les montagnes qu’entrainerait la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire en litige.

Cela n’empêche pas le juge de retenir un intérêt à agir en relevant par une ordonnance du 21 janvier 2016 (Tribunal administratif de GRENOBLE statuant en référés) en présence d’un projet portant démolition d’un bâtiment revêtant « une valeur patrimoniale particulière » et construction de deux immeubles développant une surface de plancher de 531 m2 et se développant sur un linéaire de plus de 30m ».

Ainsi, le débat sur l’intérêt à agir a encore de beaux jours devant lui et nécessitera de la part de chacune des parties au procès d’apporter des éléments précis visant à démontrer que le projet est ou non susceptible de gêner de manière substantielle les conditions d’occupation de l’habitation.

[1] Ordonnance n°2013-638 relative au contentieux de l’urbanisme JO 19 juillet 2013

[2] Décret n°2013-879 du 1er octobre 2013