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JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES: DE NOUVELLES RÈGLES DE COMPÉTENCE ET DE FONCTIONNEMENT

Par Frédéric PONCIN31 mars 2010Pas de commentaires

A la suite des décrets du 7 janvier 2009 et du 16 février 2010, le décret du 22 février 2010 vient apporter une nouvelle pierre à l’édifice d’amélioration de la Justice Administrative.

DÉCRET DU 22 FÉVRIER 2010: COMPÉTENCES ET FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

De nouvelles règles de compétence et de fonctionnement pour les juridictions administratives à la suite du décret n° 2010-164 du 22 février 2010 (1).

Après avoir fait longtemps figure de belle endormie ou de temple de la stabilité, la Juridiction Administrative n’en finit plus d’évoluer.

En effet, à la suite des décrets du 7 janvier 2009 (2) et du 16 février 2010 (3), le décret du 22 février 2010 vient apporter une nouvelle pierre à l’édifice d’amélioration de la Justice Administrative.
Surtout, ce qui ressort des 57 articles du décret qui modifie près de 60 articles de la partie réglementaire du Code de Justice Administrative, c’est la volonté de clarifier et desimplifier le fonctionnement des juridictions et de donner une meilleure lisibilité de la procédure pour le justiciable.

Dans cet esprit, doivent avant tout être relevés :

1- Le rapprochement entre la Juridiction compétente et le justiciable (articles 1 et 2) :

Les compétences initialement dévolues au Conseil d’Etat en premier et dernier ressort soit en raison de leur objet, soit en raison de « l’intérêt d’une bonne administration de la justice » sont encore réduites.

Notamment, en ce qui concerne les actes des ministres et des autres autorités à compétence nationale, le Conseil d’Etat ne conserve sa compétence « exclusive » que pour les actes réglementaires de ces autorités et leurs circulaires et instructions de portée générale. Les autres actes de ces autorités relèveront désormais de la compétence en premier ressort du Tribunal Administratif territorialement concerné, principalement le Tribunal Administratif de Paris pour les actes des ministres.

De même, pour les fonctionnaires nommés par décret du Président de la République, les litiges d’ordre individuels ressortiront désormais de la compétence du Tribunal dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation de l’agent, le Conseil d’Etat ne conservant sa compétence en premier et dernier ressort que pour les litiges d’ordre individuel concernant le recrutement et la discipline.

Enfin, concernant l’appréciation de l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il faut surtout retenir qu’à compter du 1er avril 2010, les recours dirigés contre les actes dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal et les litiges d’ordre administratif nés hors des territoires soumis à la juridiction d’un tribunal administratifs relèveront :

– pour la première catégorie de recours, il s’agit surtout des recours dirigés contre les actes signés par plusieurs autorités territoriales. Dans ce cas, le Tribunal Administratifcompétent sera celui dans le ressort duquel se trouve la première autorité dénommée par l’acte.

– pour la seconde catégorie, il s’agit surtout des litiges liés aux visas d’entrée sur le territoire qui relèveront de la compétence du Tribunal Administratif de Nantes. Les autres litiges ressortiront de la compétence du Tribunal Administratif de Paris.
En l’absence de dispositions particulières concernant ces compétences transférées aux Tribunaux Administratifs, il semble que les appels devront être présentés devant les Cours Administratives d’Appel territorialement compétentes.

En somme, il s’agit d’un pas de plus vers une unification simplificatrice de règles de compétence à l’intérieur de la Juridiction Administrative.

2- La volonté de donner une meilleure lisibilité du déroulement de la procédure :

Sans aller jusqu’à instaurer un véritable « calendrier de procédure » ou une « mise en état » de la nature de celle des Juridictions Judiciaires, le Décret poursuit l’avancée en la matière en prévoyant la possibilité d’informer les parties de la date prévisible de fixation à l’audience et de clôture de l’instruction (article 28).

Il s’agit principalement de donner au justiciable des informations concrètes sur la date à laquelle il pourra être statué sa requête et ainsi de mettre fin à l’idée communément admise que la procédure administrative est (trop) longue et peu maîtrisable.

Toutefois, la conséquence de cette double information communiquée aux parties est loin d’être négligeable puisqu’elle institue un nouveau mécanisme de clôture d’instruction immédiate qui vient s’ajouter au régime actuel de la clôture prononcée par ordonnance pour une date déterminée (qui ne peut être inférieur à 15 jours à compter de la date de l’ordonnance) ou de la clôture « mécanique » intervenant trois jours francs avant l’audience.
En effet, dès lors que la date de clôture prévisible communiquée aux parties est dépassée, la clôture d’instruction peut intervenir par simple ordonnance avec effet immédiat à la date de cette ordonnance.

Par ailleurs, si une mise en demeure adressée à l’une des parties mentionne les informations relatives à la date prévisible d’audiencement, n’est pas respectée, la clôture d’instruction pourra intervenir par ordonnance avec effet immédiat, sous réserve qu’un délai d’un mois s’est écoulé entre l’expiration de la mise en demeure et la date d’intervention de la clôture.

De manière plus anecdotique, le Décret prévoit la possibilité de demander aux parties la production d’un mémoire récapitulatif (article 27). Si aucune sanction n’est prévue en cas de non-production d’un tel mémoire, il importe en revanche de relever que celui qui produit un tel mémoire récapitulatif est réputé renoncer à tous les moyens qu’il n’aura pas repris. Il ne s’agit pas de préparer une généralisation des conclusions récapitulatives bien connues des praticiens des juridictions civiles, mais, semble t’il, de donner à certaines formations de jugement, les moyens de clarifier les termes du débat qui dans certains dossiers ont pu évoluer en raison du nombre des parties, de la nature du litige, …

3- La possibilité de rectifier les erreurs matérielles affectant les décisions rendues :

L’article 30 du Décret prévoit la possibilité pour le Président de rectifier lui-même une simple erreur matérielle affectant la décision rendue, par une ordonnance qui doit intervenir dans le délai d’un mois à compter de la notification aux parties de la décision. La notification de l’ordonnance rectificative rouvre le délai de recours contre la décision ainsi corrigée.

En revanche, la demande formée par l’une des parties d’apporter une rectification à une décision qu’elle estime entachée d’une erreur matérielle n’a pas pour effet de proroger à son profit le délai de recours, sauf si une ordonnance rectificative de la décision intervient. En d’autres termes, la décision refusant de rectifier la décision initialement rendue est sans effet sur l’expiration des délais de recours à son encontre.

4- Le souhait de redonner de l’efficacité aux expertises :

Les opérations d’expertise font souvent l’objet de griefs liés à la durée des opérations, parfois retardées par des appels en cause ou des extensions de missions de dernière minute, mais aussi à leur coût consécutif aux nombreux intervenants …

Le Décret renforce le pouvoir d’encadrement du juge puisqu’il est désormais possible de désigner un magistrat chargé du suivi des expertises qui disposera de la possibilité d’assister aux opérations d’expertise (article 35), de contrôler directement l’accomplissement de sa mission par l’Expert (article 36), mais aussi de contraindre les parties à produire les documents que l’Expert estime nécessaires à la poursuite de sa mission (article 40).

De même, pour accélérer l’accomplissement de la mission de l’expert, les appels en cause et extension de missions, ne peuvent désormais intervenir à la demande de l’une des parties que par une requête présentée dans le délai de deux mois qui suit la première réunion d’expertise, ou alors à la demande de l’Expert à tout moment (article 33). Dans les mêmes conditions, le Juge des référés peut mettre hors de cause une partie initialement désignée par l’ordonnance d’expertise.

En ce qui concerne les frais d’expertise, on relèvera à travers les dispositions évoquées ci-dessus une volonté de mieux maîtriser son coût. Il est en outre prévu l’instauration d’une « procédure contradictoire » lorsque le Juge entend fixer la rémunération de l’expert à un montant inférieur à ce qu’il avait demandé (article 43).

Telles sont les principales « innovations » apportées à la Justice Administrative par le Décret du 22 février 2010 qui, loin de bouleverser l’organisation des juridictions et leur fonctionnement, procède davantage par touches successives venant s’ajouter à celles des précédents décrets déjà intervenus en 2009 et 2010.

Nombre de dispositions nouvelles ne relèvent que de simples « possibilités » dont l’usage demeure à l’appréciation des magistrats. Sans le dire explicitement, le Décret semble ainsi surtout contenir des dispositions « expérimentales » (conclusions récapitulatives, calendrier d’enrôlement et clôtures d’instruction à effet immédiat) dont la pertinence ne pourra s’apprécier qu’à l’usage.

En tout cas, les nouvelles dispositions à la clôture d’instruction à effet immédiat en cas de mise en demeure non respectée et celles liées au délai dans lequel il peut être demandé une extension de la mission d’expertise ou alors l’appel dans la cause de parties supplémentaires ne peuvent qu’inciter à la plus grande vigilance dans la gestion des délais et de la procédure.

Index:
(1) Décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives, JORF du 23 février 2010.
(2) Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l’audience devant ces juridictions, JORF du 8 janvier 2009.
(3) Décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 relative à l’application de l’article 61-1 de la constitution (modalités des mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité qui concerne aussi la juridiction administrative), JORF du 18 février 2010.

Frédéric Poncin,
Avocat à Grenoble