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L’ANNULATION DE L’ARRÊTÉ DE CLASSEMENT DES VINS « SAINT-EMILION GRAND CRU »

Par Frédéric PONCIN4 février 2009Pas de commentaires

On ne s’était jusqu’alors jamais douté que le Droit Administratif pouvait constituer un élément essentiel dans la définition de la qualité d’un vin …

QUAND LE DROIT ADMINISTRATIF ENTRE DANS LA COMPOSITION DU VIN …

On ne s’était jusqu’alors jamais douté que le Droit Administratif pouvait constituer un élément essentiel dans la définition de la qualité d’un vin …

Tel est pourtant bien ce qu’il faut retenir du jugement SCV Giraud et autres rendu le 1er juillet 2008 par le Tribunal Administratif de BORDEAUX, qui a annulé l’arrêté interministériel du 12 décembre 2006 homologuant le classement des crus d’appellation d’origine contrôlée « Saint-Emilion Grand Cru ».

Rappelons qu’à la différence du Médoc dont le classement de 1855 est toujours d’actualité, le classement de l’AOC « Saint-Emilion Grand Cru » est révisé tous les dix ans avec un maximum de 90 lauréats. Autant dire que ce classement est attendu, tant peuvent être importantes les répercussions pour les « heureux élus » que catastrophique pour un habitué du classement, une entrée en disgrâce.

Certes, les précédents arrêtés de classement de 1986 et de 1996 avaient déjà bien fait l’objet de contestations de la part de producteurs qui n’avaient réussi à emporter la conviction de la commission chargée d’établir le classement, mais sans succès … (1).

Une première brèche semblait s’être entre-ouverte à l’initiative du Juge des Référés du Tribunal qui, le 29 mars 2007, avait suspendu les effets de l’arrêté de 2006 sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de Justice Administrative, en considérant qu’en « fixant à 90 le nombre maximal des vins appelés à bénéficier du classement qu’il organisait, le règlement du classement des crus de l’AOC « Saint-Emilion Grand Cru » approuvé par décision ministérielle du 30 mai 2006 a rendu interdépendante la situation de chacun des candidats au classement et conféré à celui-ci le caractère d’un concours », que, partant, il appartenait à la commission en charge d’établir le classement de visiter l’ensemble des exploitations viticoles au classement pour assurer l’égalité de traitement des candidats au classement et qu’en ne visitant que certaines seulement des exploitations, la commission avait rompu cette égalité de traitement (2).

Mais, saisi d’un pourvoi du Ministre de l’Agriculture, le Conseil d’Etat a rapidement mis un terme à la situation quelque peu confuse née des conséquences de la décision du Juge des Référés (Qui peut se prévaloir du classement et de quel classement ?) en trouvant un moyen de cassation dans la question de l’appréciation de l’urgence, pour ensuite rejeter la demande de suspension sur le fond en considérant, selon la formule consacrée, « qu’aucun des moyens présentés n’est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée » (3).

Dans son jugement du 1er juillet 2008, le Tribunal Administratif de BORDEAUX retient de nouveau le principe de l’atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats au classement, mais en se fondant sur un raisonnement procédant d’une appréciation nouvelle des faits.

Le Tribunal relève, en effet, qu’au lieu de procéder à une dégustation des échantillons des vins en ordre de hasard et afin d’assurer à chacun les mêmes chances d’être retenu, la commission a procédé à une répartition par catégorie entre les vins qui figuraient au précédent classement, les vins des exploitations classés précédemment et enfin, ceux qui n’avaient jamais accédé au classement.

Le Tribunal y a vu là une rupture dans l’égalité de traitement par la distinction entre des vins de qualité « supérieure » – les « sortants » du classement ou ceux qui auraient déjà bénéficié du classement – et les autres, et a rappelé qu’il ne pouvait y avoir de la sorte de droits acquis au maintien du classement.

Une manière pour le Tribunal de rappeler, en se fondant sur le principe général d’égalité, que la qualité d’un vin doit s’apprécier au résultat de sa dégustation et non au vu de son étiquette ou même d’un prestigieux passé.
Ce principe parfaitement acceptable d’un strict point de vue juridique risque donc de constituer désormais un nouvel élément dans la définition de la qualité d’un vin, tout candidat malheureux à un classement pouvant désormais s’en prévaloir …
… et par là-même de créer un nouvel espace d’incertitude pratique pour une profession qui n’en avait certainement pas besoin.

Index:
(1) A propos du classement de 1986, CE 17-01-1992 : n° 90309, et du classement de 1996, CAA Bordeaux 24-02-2004 : n° 99BX02330
(2) Tribunal Administratif de Bordeaux, Juge des Référés, 29-03-2007, SARL André Giraud et autres : n° 0701082
(3) CE 12-11-2007, Ministre de l’Agriculture et de la Pêche : n° 304753

L’AUTEUR DE CET ARTICLE

Cet article a été rédigé par Frédéric Poncinavocat à Grenoble.