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Administratif

Affaire du siècle, Affaire à suivre

Par Elise NALLET ROSADO12 février 2021Pas de commentaires

La décision était attendue depuis les premières signatures de la pétition lancée conjointement par la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France, Notre Affaire à tous, et Oxfam France. Le Tribunal Administratif de Paris s’est enfin prononcé sur la médiatique « Affaire du siècle », dans un jugement rendu le 3 février 2021.

Les ONG avait exercé une action en responsabilité devant la juridiction administrative, pour carence fautive de l’Etat français, en raison de son inaction climatique.

Sur le fond, il s’agissait de reconnaitre l’existence d’un préjudice écologique, au sens de l’article 1246 du Code civil.

Suite à une motivation très technique, le Juge administratif s’attache à démontrer dans quelle mesure la France participe au réchauffement climatique. En se fondant notamment sur les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat et sur l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, le Tribunal administratif de Paris reconnait que le préjudice écologique est établi.

Toutefois, pour caractériser la faute, le Tribunal étudie successivement l’obligation générale de lutte contre le changement climatique, puis le caractère insuffisant des actions menées par l’Etat.

Sur le premier point, le Juge administratif insiste sur les engagements internationaux de la France, ainsi que sur son pouvoir de réglementation, pour affirmer que l’Etat Français avait reconnu « l’existence d’une urgence », ainsi que « sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes ».

Sur le second point, le Tribunal se prononce sur trois catégories d’objectifs : l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie, et l’objectif de réduction des gaz à effet de serre.

Pour les deux premiers objectifs, dont l’analyse est, ici encore, richement documentée, le Tribunal estime que « l’écart ainsi constaté entre les objectifs et les réalisations, dès lors que l’amélioration de l’efficacité énergétique n’est qu’une des politiques sectorielles mobilisables en ce domaine ne peut être regardé comme ayant contribué directement à l’aggravation du préjudice écologique ».

En revanche, s’agissant de l’objectif de réduction des gaz à effet de serre, le Tribunal juge que « l’Etat doit être regardé comme ayant méconnu le premier budget carbone et n’a pas ainsi réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre ». Le Juge administratif poursuit son raisonnement, en reconnaissant une aggravation du préjudice écologique, au sens où le non-respect de la trajectoire que l’Etat s’est fixée pour atteindre ses objectifs engendre des émissions supplémentaires, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans.

Sur la question plus spécifique de la réparation, le Tribunal administratif refuse la réparation en numéraire, dans la mesure où les associations requérantes ne démontrent pas en quoi l’Etat est dans l’impossibilité de réparer le préjudice écologique en nature.

Or, précisément, sur la réparation en nature, le Tribunal administratif ordonne, avant dire droit, « un supplément d’instruction afin de communiquer aux parties les observations non communiquées par les ministres compétents », qui avaient été sollicitées par le Tribunal, et transmises seulement le 8 janvier 2021. Il fixe donc un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

L’« Affaire » reste donc à suivre, mais elle suscite déjà un fort engouement en doctrine.

Certains évoquent une « mode du contentieux administratif » (Erstein (L.), JCP A n°6, 8 février 2021, act. 103.), faisant notamment référence à la décision du Conseil d’Etat en date du 19 novembre 2020, où il a demandé au Gouvernement de justifier sous 3 mois que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pourra être respectée (CE, 19 nov. 2020, n°4273, Cne de grande Scynthe).

Quant au professeur Denis Mazeaud, il affirme que « le juge administratif a fait un grand pas pour l’intrusion du solidarisme climatique en Droit français ».

Cette idée, issu notamment de la doctrine civiliste, « prône une société dans laquelle les individus doivent être solidaires car toute société est une société morale. Dans la mesure où l’individu s’agrège à la société, il est en outre le débiteur des autres membres qui la composent, qu’ils soient ses prédécesseurs ou ses contemporains. Ainsi naît l’idée de la dette sociale à laquelle doit contribuer chaque individu et qui légitime l’orientation des droits et obligations dans une finalité sociale » (Boutonnet (M.), « le contrat et le droit de l’environnement », RTD Civ. 2008, p.1.).

Car outre les avancées juridiques que suggère cette décision, il est impossible d’ignorer sa portée politique, à l’heure où le projet de loi issu des propositions de la convention citoyenne pour le Climat sera présenté en Conseil des ministres, le 10 février.

Par cette décision, le juge administratif prend donc une place dans la protection de l’environnement, place, pour certains, légitimes quand d’autres pourraient y identifier – selon la nature des injonctions qui seront formulées – le signe d’un « gouvernement des juges » (toutefois préalablement justifié par la démonstration documentée d’une carence de l’Etat).