Skip to main content
Urbanisme

Le sursis qui ne compte pas mais qui compte quand même

Par Marion MILLET26 avril 2016Pas de commentaires

Par son arrêt en Sous-Sections Réunies du 9 mars 2016[1], le Conseil d’Etat apporte deux précisions d’importance aux praticiens du droit de l’urbanisme, s’agissant de la succession de sursis à statuer lorsque l’un vient à être annulé.

M.GARRIGUES avait saisi la Commune de BEAULIEU d’une demande de permis de construire aux fins d’établir un bâtiment de stockage de fourrage sur un terrain lui appartenant. Le 16 juin 2009, il lui était opposé une décision de sursis à statuer sur le fondement de l’Article L. 123-6 du Code de l’Urbanisme.

Cette décision était annulée par un Jugement devenu définitif du Tribunal Administratif de MONTPELLIER du 16 décembre 2010, au motif, classique, de l’absence d’avancement suffisant de la procédure de révision pour qu’un sursis à statuer puisse être légalement opposé[2]. Il était dès lors enjoint au Maire de statuer à nouveau sur la demande.

Fort à propos, le Conseil Municipal arrêtait, le 12 janvier 2011, le projet de PLU de la Commune. Le Maire entendait en conséquence opposer un nouveau sursis à statuer au pétitionnaire. Ce second arrêté faisait l’objet d’un nouveau recours pour excès de pouvoir, qui devait être rejeté par le Tribunal Administratif de MONTPELLIER. Par un arrêt du 26 mai 2014, la Cour Administrative d’Appel de MARSEILLE infirmait le Jugement de première instance, et retenait l’illégalité de ce second sursis[3].

Suivant les conclusions de son Rapporteur Public[4], la Cour retenait qu’il avait été sursis à statuer pendant plus de trois ans sur la demande, en méconnaissance de l’Article L. 111-8 du Code de l’Urbanisme. Pour retenir cette solution, la Cour appréciait la durée totale du sursis en tenant compte de la période au cours de laquelle il avait été sursis à statuer sur la demande au titre de la première décision de sursis annulée.

Le Tribunal de premier ressort avait exclu un tel raisonnement, considérant que le premier sursis ayant été annulé, il était réputé n’avoir jamais existé. Le second sursis n’était donc finalement qu’un « premier » sursis, entrant dans le champ du premier alinéa de l’Article L. 111-8 du Code de l’Urbanisme, et auquel une durée maximale de deux ans pouvait être légalement donnée.

Pour le Rapporteur Public à la Cour, pouvait être dégagé un principe selon lequel les victimes d’un sursis illégal annulé bénéficient de la même garantie de délai maximal de trois ans que s’agissant de la succession de sursis « légaux », au regard tant de l’esprit des dispositions de l’Article L. 111-8 que des objectifs poursuivis par le Législateur. C’est ce que retenait la Cour au terme de son arrêt.

Erreur de droit, nous dit le Conseil d’Etat ! Dans un premier considérant de principe, il juge que :

« en jugeant qu’il résulte de ces dispositions que le respect de la durée maximale pendant laquelle il peut être sursis à statuer, par plusieurs décisions successives, sur une demande de permis de construire doit être apprécié en tenant compte de la période pendant laquelle l’une de ces décisions a produit ses effets à l’égard du pétitionnaire avant de faire l’objet d’une annulation contentieuse, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ».

 La Haute Juridiction donne ainsi raison au Tribunal de première instance, et signe un retour à une application rigoureuse des effets d’une annulation contentieuse : le premier sursis étant supprimé rétroactivement de l’ordonnancement juridique, il n’a pu produire d’effets. Dès lors :

« il résulte des articles L. 111-8 et L. 123-6 du code de l’urbanisme que le respect de la durée maximale pendant laquelle il peut être sursis à statuer, par plusieurs décisions successives, sur une demande de permis de construire s’apprécie sans tenir compte de la période pendant laquelle l’une de ces décisions a produit ses effets à l’égard du pétitionnaire avant de faire l’objet d’une annulation contentieuse » (abstract au Recueil Lebon).

Bien qu’il n’ait pu produire d’effets, et ne peut donc compter dans le calcul de la durée totale du sursis opposé à la demande, le sursis annulé emporte quand même un effet de taille ; c’est là le second apport de cet arrêt.

Pour le Conseil d’Etat, et dans un second considérant de principe, « doit être regardé comme un refus, au sens [des dispositions de l’Article L. 600-2 du Code de l’Urbanisme], une décision de sursis à statuer prise sur le fondement de l’Article L. 123-6 du même Code ».

 Rappelons que l’Article L. 600-2 fait obstacle à ce qu’un pétitionnaire se voit opposer un nouveau « refus » sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’un premier « refus », lorsque ce dernier a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle devenue définitive et sous réserve d’une confirmation de la demande dans les 6 mois suivant l’annulation. Ainsi, dès lors que « l’Article L. 600-2 du Code de l’Urbanisme est applicable aux décisions de sursis à statuer », un sursis annulé fige les règles de droit opposables à la demande, et toutes dispositions d’urbanisme postérieures au premier sursis annulé ne peuvent fonder un nouveau sursis à statuer.

 Il en résulte qu’en suite de l’annulation du sursis du 16 juin 2009, le Maire de BEAULIEU ne pouvait légalement opposer au Sieur GARRIGUES un nouveau sursis fondé sur la délibération du Conseil Municipal du 12 janvier 2011, postérieure au sursis annulé[5]. Le Conseil d’Etat retient ce motif d’annulation qu’il vient substituer au motif initial erroné, pour confirmer le dispositif de la Juridiction d’Appel et rejeter le pourvoi.

Cette seconde solution est moins novatrice que ne l’est le premier point de l’arrêt. La solution avait déjà en effet été à moitié consacrée par la Haute Juridiction, aux termes d’un arrêt où elle jugeait qu’il ne pouvait être opposé un sursis à statuer sur la base de dispositions postérieures à un refus (un vrai), lorsque ce dernier avait été annulé[6]. En outre, nombre de Juridictions inférieures avaient déjà retenu – et pour certaines de longue date – l’assimilation des sursis à statuer aux refus d’autorisation pour l’application des dispositions de l’Article L. 600-2[7]. La confirmation du Conseil d’Etat demeure néanmoins bienvenue, et la présente décision d’importance[8].

On y apprend, dans le même temps, qu’un sursis annulé ne peut prémunir le pétitionnaire d’un délai de sursis supérieur à trois ans dans les faits, mais permet de le prémunir de toute évolution du droit qui lui serait défavorable. C’est ainsi un sursis qui est censé n’avoir jamais produit d’effet, mais qui en produit tout de même certains.

Au final, un sursis annulé ne compte pas, mais compte un peu quand même…

[1] CE, 9 mars 2016, Commune de BEAULIEU, n°383060.

[2] En ce sens, CE, 14 mars 1994, Ministre de l’EQUIPEMENT, n°105509.

[3] CAA Marseille, 26 mai 2014, M. GARRIGUES, n°12MA000113.

[4] Publiées à la Semaine Juridique Administrations et Collectivités Territoriales n°12, 23 mars 2015, 2078.

[5] Etant remarqué qu’une délibération arrêtant un projet de PLU constituerait donc implicitement une « disposition d’urbanisme », au moins au sens de l’Article L. 600-2.

[6] CE, 15 novembre 2010, SARL FRANCIMO, n°342672.

[7] Voir par exemple : CAA Lyon, 27 décembre 2001, Commune de LA CLUSAZ, n°98LY01450 ; CAA Paris, 20 janvier 2004, Commune de BOUGIVAL, n°00PA02366.

[8] Elle a d’ailleurs été fichée comme telle en A au Recueil Lebon.