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Collectivités

Conflits d’intérêts des élus locaux

Par Clémentine MÉTIER22 septembre 2023Pas de commentaires

La notion de conflit d’intérêt est définie par la loi : « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction » (art. 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).

Sur le plan administratif d’abord, l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales définit comme illégales « les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ».

Il résulte de ces dispositions que « la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération d’un conseiller municipal intéressé à l’affaire qui fait l’objet de cette délibération, c’est-à-dire y ayant un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants de la commune, est de nature à en entraîner l’illégalité ; que, de même, sa participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption d’une telle délibération est susceptible de vicier sa légalité, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation à son vote, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d’exercer une influence sur la délibération » (CE, 12 oct. 2016, n°387308).

En d’autres termes, l’intérêt à l’affaire existe dès lors qu’il ne se confond pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune. Peu importe alors que le vote ait été acquis à l’unanimité : le seul fait que l’élu intéressé ait exercé une influence sur le résultat du vote en participant suffit à rendre la délibération illégale1.

Ce mécanisme emporte une incompatibilité ponctuelle pour l’élu à toute participation aux délibérations concernant l’affaire à laquelle il est intéressé, faute de quoi la décision adoptée souffrirait d’illégalité.

A titre d’illustrations :

  • Un maire, exploitant d’une salle de danse, est personnellement intéressé à la résiliation du bail accordé à une association de loisirs organisant notamment des bals2.
  • Est intéressé à l’affaire le conseiller, président-directeur général d’une société qui exploite un théâtre appartenant à la commune, lorsque le conseil municipal délibère sur des demandes de subventions en vue de travaux de réaménagement de la salle de théâtre3.

Cependant, la mise en œuvre de ces règles ne doit pas conduire à écarter systématiquement les connaissances des conseillers municipaux : le Conseil d’État a eu l’occasion de juger qu’une commune qui rejette, sans l’examiner, l’offre d’une entreprise au seul motif que le dirigeant de cette société était apparenté à une conseillère municipale manque à ses obligations de mise en concurrence4. L’intérêt doit dès lors être suffisamment marqué5. Il n’y a pas non plus d’intérêt à l’affaire lorsqu’il s’agit d’un intérêt attaché à la qualité d’habitant ou de contribuable de la commune, sans être distinct de l’intérêt général de la commune. Cette règle trouve particulièrement sa mise en œuvre en matière d’approbation du document d’urbanisme6 mais également en matière de raccordement aux réseaux7 par exemple. Le Conseil d’Etat a également estimé que des conseillers municipaux, membres d’une association d’opinion opposée à l’implantation de certaines activités sur le territoire de la commune, ne sont pas considérés comme intéressés et peuvent ainsi participer à la délibération portant modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités8.

Il en va de même de l’intérêt attaché aux fonctions de conseiller municipal : octroi d’indemnités de fonctions, participation en qualité de représentant de la commune à un organisme qui lui est rattaché ou à une commission administrative, mandataire des collectivités territoriales au sein du conseil d’administration ou de surveillance des SEML, etc.

In fine, c’est au juge administratif que revient le contrôle de la notion de conseiller intéressé à l’échelle locale, dans le cadre du contrôle qu’il opère sur les actes administratifs des collectivités territoriales. Dans ce cadre, il examine si la personne soupçonnée d’intéressement a été susceptible d’influer sur le sens de la décision adoptée.

En complément, l’article 6 du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 (pris en application de l’article 2 de la loi précité) prévoit, pour les conseillers municipaux :

« Lorsqu’elles estiment se trouver en situation de conflit d’intérêts, les personnes mentionnées au précédent alinéa en informent le délégant par écrit, précisant la teneur des questions pour lesquelles elles estiment ne pas devoir exercer leurs compétences.

Un arrêté du délégant détermine en conséquence les questions pour lesquelles la personne intéressée doit s’abstenir d’exercer ses compétences ».

Sur le plan pénal ensuite, la Cour de Cassation juge que « le délit est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » (Cass. Crim. 21 juin 2000, n°99-86.871).

La notion d’intérêt comporte ainsi une double composante matérielle et morale.

Premièrement, l’élément matériel est établi lorsque le patrimoine personnel de la personne en cause apparaît directement dans une affaire publique dont elle a l’administration ou la surveillance, même sans qu’il n’y ait eu effectivement profit pécuniaire. En ce sens, le fait même de signer un marché pour lequel le maire aurait un intérêt personnel peut constituer, en soi, une prise d’intérêt punissable, même avant toute exécution du contrat.

L’intérêt moral peut résulter d’un lien direct ou indirect, c’est-à-dire qu’il s’étend au-delà du patrimoine strictement personnel de l’élu : liens familiaux (enfants, conjoints, frères et sœurs, et plus généralement tout lien de parenté), amicaux ou professionnels, y compris entre élus9, le juge pénal tenant compte de la proximité du lien pour qualifier l’intérêt moral. Celui-ci peut donc être caractérisé en dehors de tout lien matériel avec une entité (par exemple, fonctions bénévoles dans une association ou attachement à l’entreprise dans laquelle travaillait précédemment l’élu). Aussi, se rend coupable du délit de prise illégale d’intérêt un adjoint au maire « ayant transmis avec un avis favorable pour la reconduction, une demande de subvention présentée par une association dans le fonctionnement de laquelle il avait une grande influence, et par laquelle il avait été démarché dans le but de faire travailler pour le compte de celle-ci, une entreprise commerciale dont il assumait la direction » (Crim. 9 mars 2005, n°04-83.615). Le lien indirect n’est, dans cette instance, pas même constitué juridiquement mais est en revanche de pur fait.

Deuxièmement, l’élément moral du délit a trait à son intentionnalité. Par principe, le délit de prise illégale d’intérêt est en effet un délit intentionnel. Cela induit qu’il suffit que les faits constitutifs de la prise d’intérêt aient été accomplis sciemment, en connaissance de cause : il est constant qu’en la matière, « l’intention coupable est caractérisée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit » (voir Cass. Crim. 21 nov. 2001, n°00-87.532 ; 27 nov. 2002, n°02-83.092 ou encore 29 juin 2011, n°10-87.498).

En définitive, la caractérisation du délit de prise illégale d’intérêt suppose que soit réunis les deux éléments de l’infraction, matériel et moral.

1 CE sect., 16 déc. 1994, n°145370 : un maire, président d’une association qui « poursuivait des objectifs qui ne se confondaient pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune », « a un intérêt distinct de celui de la commune à la signature avec cette association d’un bail portant sur un immeuble communal » et doit alors être considéré comme intéressé, ce d’autant qu’il était « à l’origine du projet de bail et qu’il en a été le rapporteur devant le conseil municipal » et qu’ainsi, sa participation a exercé une influence sur le résultat du vote « alors même que celui-ci a été acquis à l’unanimité ».

2 CE, 13 févr. 1987, n° 70331

3 CE, 23 sept. 1987, n°65014

4 CE, 9 mai 2012, n°355756. Voir également CE, 26 oct. 2012, n°351801 : des élus municipaux ne peuvent être considérés comme intéressés à la construction d’un complexe hôtelier et d’un centre de vinothérapie parce qu’ils exercent l’activité économique prépondérante dans la commune (la viticulture).

5 CE, 16 déc. 1988, n°70908 : n’est pas intéressé à l’affaire le maire qui, en qualité d’ingénieur, a collaboré à l’élaboration des plans de fondations du magasin édifié par une société civile immobilière à laquelle le conseil municipal décide de vendre une parcelle communale.

6 Voir CE, 12 oct. 2016, n°387308 précité

7 CE, 10 janv. 1992, n°97476 : ne sont pas intéressés un maire et un conseiller résidant dans un hameau qui pourra être raccordé au réseau d’eau potable grâce à l’adhésion de la commune à un syndicat intercommunal, au prix d’un renchérissement du coût de la distribution d’eau pour l’ensemble de la commune.

8 CE, 22 févr. 2016, n°367901 : « deux conseillers municipaux, anciens membres d’un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d’enrobage dans la zone d’activités de Piossane III, avaient participé au vote et que la délibération avait eu précisément pour objet de modifier le règlement du plan local d’urbanisme pour interdire, dans le secteur concerné, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation ». Le conseil d’Etat retient qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d’intérêt personnel.

9 Crim. 29 juin 2011, n°10-87.498 : est condamné le maire qui fait augmenter le volume, prévu au marché initial, de dragage de l’entrée du port, à la demande d’un conseiller municipal dont le frère venait d’acheter un bateau de pêche à fort tirant d’eau. La Cour expose : « en ordonnant, à la demande de M. C…, en toute connaissance de cause, en dehors du marché et de toute procédure légale, des travaux supplémentaires, le maire a favorisé sciemment ce dernier, élu municipal, et a ainsi pris un intérêt indirect dans les opérations visées ».