Skip to main content
Non classé

PROCEDURE CIVILE ET ETAT D’URGENCE SANITAIRE

Par Emanuelle MARAIS10 avril 2020Pas de commentaires

La Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, publiée au journal officiel le 24 mars suivant, a mis en place, par dérogation aux dispositions de l’article L.3131-13 du Code de la santé publique, l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire national et ce pour un délai, révisable, de deux mois à compter de sa promulgation le 24 mars 2020.

Habilité dans le respect des dispositions constitutionnelles (article 11 de la loi du 23 mars 2020), le Gouvernement a pris quatre ordonnances afin d’adapter le fonctionnement de la justice et ainsi maintenir la continuité du service public dans cette période de crise sanitaire marquée par les exigences de confinement et, en toutes hypothèses de distanciation sociale.

  • Ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;
  • Ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridiction de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété ;
  • Ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif ;
  • Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette période d’urgence ;

L’appréciation des incidences, de la situation d’urgence sanitaire, sur les règles de procédure civile résulte de l’étude combinée des ordonnances n°2020-304 et n°2020-306.

Il ressort de ces textes que la volonté du Gouvernement a été de mettre en balance l’indispensable protection des justiciables et de leurs droits (I) et la nécessaire poursuite de l’activité judiciaire statuant en matière non pénale (II).

Il convient, tout d’abord, de préciser le champ d’application des dispositions de l’ordonnance n°2020-304 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judicaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

Celles-ci sont, à ce jour, applicables à compter du 12 mars 2020 et ce jusqu’à l’expiration d’un mois après la cessation de l’état d’urgence (24 juin 2020, à ce jour) (article 1 de l’ordonnance).

Cette période est susceptible d’évolution : réduction (peu probable) ou augmentation (non espérée) selon la situation sanitaire française (article 4 de la loi du 23 mars 2020)

Les dispositions de l’ordonnance s’appliquent en première instance, en appel et en cassation.

  1. L’INDISPENSABLE PROTECTION DES JUSTICIABLES ET DE LEURS DROITS
  1. La prorogation des délais

Certainement l’une des mesures les plus attendues par les auxiliaires de justice, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 organise, sous réserve d’exceptions identifiées (article 1-II° de l’ordonnance 2020-306 et article 2-II de l’ordonnance 2020-304), la prorogation généralisée des délais et mesures échus pendant la période d’urgence.

Quelle période est concernée ?

La prorogation concerne les délais et mesures échus entre le 12 mars et le 24 juin 2020, c’est-à-dire un mois après la cessation de l’état d’urgence (article 1-I°), sous réserve d’une cessation anticipée ou d’une prorogation de l’état d’urgence sanitaire (article 4 de la loi du 23 mars 2020).

Cette période, du 12 mars au 24 juin 2020, est une période juridiquement protégée.

Quels délais et mesures sont concernées ?

Toutes les diligences et toutes les procédures sont concernées.

En effet, l’article 2 de l’ordonnance 2020-306 vise :

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période » du 12 mars au 24 juin 2020.

Cela concerne également « tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit ».

Quelle durée de prorogation ?

La prorogation fait renaître le « délai initialement imparti par la loi » à compter de la fin de la période juridiquement protégée avec toutefois une limitation à deux mois (24 août 2020).

  1. La prorogation des mesures administratives ou juridictionnelles

En application de l’article 3 de l’ordonnance de l’ordonnance 2020-306, les « mesures conservatoire, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation » sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois la fin de la période juridiquement protégée (24 août 2020).

  1. Le respect des droits entourant la procédure et l’audience
  • La protection du respect du contradictoire (article 6 de l’ordonnance 2020-304)
  • La protection des droits de la défense (article 7 de l’ordonnance 2020-304)
  1. LA NECESSAIRE POURSUITE DE L’ACTIVITE JUDICIAIRE
  1. Le transfert de compétence en cas de juridiction empêchée (article 3 de l’ordonnance 2020-304)

Cet article vise à outiller les juridictions en cas d’une diminution de leurs ressources humaines.

En effet, la première cause de paralysie de l’activité judiciaire est l’empêchement total ou partiel d’une juridiction en raison de l’indisponibilité de ses membres.

Ainsi, l’article 3 de l’ordonnance du 2020-304 prévoit, en cas d’empêchement d’une juridiction de 1er degré, la possibilité pour le premier président de la cour d’appel, après avis du procureur général près la cour, des chefs de juridictions et des directeurs de greffe des juridictions concernées, de transférer, par ordonnance, à une autre juridiction de même nature et du ressort de la même cour tout ou partie de l’activité de la juridiction empêchée.

Le transfert concerne les seules « affaires en cours à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance de désignation ».

Il peut, toutefois, être considéré que cette mesure est une mesure d’extrême urgence qui a vocation à rester exceptionnelle dès lors que le Code de l’organisation judiciaire permet d’autres mesures préalables, applicables en temps ordinaire (possibilité des délégations de magistrats ou d’agents de greffe entre juridictions du ressort de la cour d’appel pour renforcer temporairement une juridiction en souffrance).

  1. La poursuite des échanges contradictoires (article 6 de l’ordonnance du 202-304)

Les parties peuvent échanger leurs écritures et pièces par tout moyen, sous réserve de l’effectivité du principe du contradictoire contrôlé par le juge.

Il est primordial pour les parties de conserver la preuve de ce qu’elles ont bien transmis leurs écritures et pièces à la partie adverse et de la date à laquelle elles l’ont fait afin d’éviter toute contestation ultérieure.

  1. L’adaptation des audiences

Crise sanitaire et distanciation sociale, sont les fondements d’un remaniement profond des audiences.

  • La simplification des renvois (article 4 de l’ordonnance du 2020-304)

En cas d’audience ou d’audition supprimées au motif qu’elles sont non urgentes et donc renvoyées à une date ultérieure, le greffe informe les parties par tout moyen, y compris par voie électronique en présence d’un avocat (RPVA, courriel à l’adresse professionnelle de l’avocat) ou d’un justiciable ayant accepté l’usage du « portail du justiciable » (courriel renseigné par les parties) ou par lettre simple dans les autres cas.

Cet assouplissement est valable quelles que soient les procédures concernées.

  • Recours au juge unique (article 5 de l’ordonnance 2020-304)

La distanciation sociale a permis la mise en place de restrictions à l’usage de la formation collégiale.

En présence d’audiences de plaidoirie, de clôtures d’instruction ou de décision de recours à la procédure sans audience survenant entre le 12 mars et le 24 juin (à ce jour mais susceptible comme vous l’avez compris d’évolution) tant en première instance qu’en appel, la juridiction peut statuer, dans toutes les affaires qui lui sont soumises, à juge unique après décision en ce sens de la présidence, à la condition que le juge soit un magistrat du siège ni honoraire ni à titre temporaire.

  • Restriction du principe de publicité des audiences (article 6 de l’ordonnance 2020-304)

L’ordonnance organise une dérogation au principe général de publicité des débats.

En effet, afin d’assurer la santé des personnes présentes à l’audience, le juge peut décider, avant l’audience, d’en restreindre la publicité, voir « en cas d’impossibilité de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience », de tenir les débats en chambre du conseil.

L’accès des journalistes est réglementé par le président de la juridiction.

  • Visio-conférences et entretien téléphoniques(article 7 de l’ordonnance 2020-304)

La protection de la santé publique conduit à faire la part belle aux nouvelles technologies et ce sur décision, non susceptible de recours, du juge ou du président de la formation de jugement.

En tout premier lieu, le juge ou le président de la formation de jugement peut opter pour « tout moyen de télécommunication audiovisuelle ».

A défaut et ce pour des raisons techniques ou matérielles, il pourra être fait usage de « tout moyen de communication électronique ».

En conséquence, avocat et interprète n’ont pas besoin d’être physiquement présents auprès de leur client.

Il a toutefois été prévu des limites à la mise en œuvre de ces dispositifs : la vérification de l’identité des parties d’une part, et la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats d’autre part.

Enfin, afin d’assurer la transparence des audiences ainsi tenues, « le greffe dresse procès-verbal des opérations effectuées ».

  • La procédure sans audience (article 8 de l’ordonnance 2020-304)

Le juge ou le président de la formation de jugement a la faculté en présence de dossiers où la représentation est obligatoire ou lorsque les parties sont assistées ou représentées par un avocat, de décider unilatéralement que « la procédure se déroulera selon la procédure sans audience ».

Il s’agit ici d’une extension de la procédure sans audience qui, en droit commun, est subordonnée à l’accord des parties.

Le juge en informe les parties par tout moyen.

Cette décision est susceptible d’opposition de la part des parties dans un délai de 15 jours sauf pour les procédures en référés, les procédures accélérées au fond et les procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé.

En cas d’opposition, la juridiction peut faire le choix de maintenir l’audience en retenant l’une des modalités prévues aux articles 5 et 6 de l’ordonnance (juge unique ou publicité restreinte) ou décider de fixer une date d’audience après la période de crise sanitaire.

A défaut, la procédure est exclusivement écrite.

  1. Les « ordonnances de tri » en matière de référé(article 9 de l’ordonnance 2020-304)

En présence d’une assignation en référé portant sur une demande irrecevable ou s’il n’y a pas lieu à référé, la juridiction peut rejeter la demande par ordonnance non contradictoire avant toute audience.

  1. La notification des décisions rendues(article 10 de l’ordonnance 2020-304)

La poursuite du service public de la justice implique que des décisions puissent être notifiées aux parties.

Aussi et indifféremment des dispositions usuellement applicables, les décisions seront « portées à la connaissance des parties par tout moyen ».